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"Toutes les technologies sont sur la table": retour sur l'édition 2025 du rapport Emerging Sustainable Technologies d'ENGIE R&I

Par ENGIE - 07 avril 2025 - 10:37

ENGIE R&I vient de sortir son rapport annuel Emerging Sustainable Technologies. L’édition 2025 est consacrée à la défossilisation de l’industrie. Jan Mertens, directeur scientifique d’ENGIE R&I, et Elodie du Fornel, conseillère scientifique principale, expliquent ce concept et nous livrent les principaux enseignements de l’étude.

 

Chaque année, ENGIE R&I publie un rapport sur les technologies durables émergentes. Pourquoi avoir choisi de consacrer cette édition à l’industrie ?  

Elodie du Fornel : L’industrie représente à elle seule un tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre (environ 24 % sont liées à l’énergie utilisée, et 5 % aux procédés industriels eux-mêmes). Cela mérite bien qu’on s’y penche ! Nous avons mis l’accent sur l’industrie lourde, notamment la pétrochimie, le ciment et l’acier. Le rapport s’articule autour de trois grands axes : la molécule, l’électron et les leviers d’accélération.

 

Pourquoi employer le terme méconnu de « défossilisation » de l’industrie, plutôt que « décarbonation » ?

Jan Mertens : Il ne s’agit pas de supprimer tout le carbone, mais de sortir du carbone fossile. La transition énergétique nécessitera toujours des molécules carbonées — pour produire des matériaux, comme le ciment. Il nous faut donc des sources durables de carbone : biomasse, CO2 capté, plastiques recyclés. C’est ce que nous appelons en anglais le « sustainable carbon », ou carbone durable.

Nous consacrons ainsi un chapitre du rapport à la « raffinerie du futur », qui illustre les technologies permettant de remplacer les dérivés du pétrole et du gaz par des molécules identiques mais issues de sources non fossiles. L’objectif : arrêter d’ajouter du carbone fossile dans l’atmosphère.

Bref, nous ne visons pas le « zero carbone », mais bien le « carbon neutral » (neutre en carbone). 

La raffinerie du futur remplacera le gaz et le pétrole par des molécules identiques mais issues de sources non fossiles

 

Pour l’heure, l’industrie fonctionne majoritairement avec des énergies fossiles. Est-il vraiment possible de les remplacer ?

Jan Mertens : Il existe trois leviers principaux pour atteindre la neutralité carbone.

  • L’efficacité énergétique : faire mieux avec moins d’énergie. Une démarche déjà bien engagée. 
  • L’électrification : utiliser l’électricité renouvelable dans les procédés industriels, l’électricité étant un des vecteurs d’intégration des énergies renouvelables les plus matures et les plus économiques (solaire, éolien, hydraulique).
  • Le recours aux molécules défossilisées comme l’hydrogène vert ou le biométhane, indispensable pour certains usages. 

Pour des températures inférieures à 200 °C, des pompes à chaleur à haute température sont en cours de développement. Elles permettent de fournir de la chaleur de manière très efficace à partir d’électricité. Des secteurs comme l’agroalimentaire ou la pâte à papier adopteront très probablement ces technologies, et pourront se passer de molécules.  

En revanche, nous ne savons pas s’il sera possible de recourir efficacement à l’électricité pour des températures plus élevées. Et même si nous pensons que les technologies émergeront, deux questions demeurent : (i) disposera-t-on de suffisamment d’électricité renouvelable, à l’échelle du gigawatt pour des ports comme Anvers ou Dunkerque ? Et (ii) le réseau électrique sera-t-il capable de supporter de telles capacités ? 

La production d’acier fait partie des industries “hard to abate”, au cœur du rapport

 

Un exemple de technologie mise en avant dans le rapport ?

Jan Mertens : Traditionnellement, l’industrie fait appel à la haute température et la haute pression pour transformer la matière. Or la biologie nous offre une autre voie : les bactéries peuvent transformer la matière à température ambiante ou modérée. Cela ouvre la voie à des installations plus petites, décentralisées et moins coûteuses. La bioconversion constitue une piste très prometteuse.

 

Elodie du Fornel : En effet, nous l’illustrons dans le rapport avec le projet BioCat de production de méthane renouvelable à partir de CO2 et d’hydrogène, par méthanation biologique. Ou encore avec le projet Steelanol pour convertir des émissions industrielles en éthanol durable.

 

Quel est le niveau de maturité des technologies étudiées dans le rapport ? Seront-elles prêtes d’ici 2050 ?

Jan Mertens : S’il y a une phrase à retenir de ce rapport, c’est celle-ci : “We won’t be able to blame technology.” Autrement dit, les solutions existent déjà, au moins à l’échelle du laboratoire. Nous n’avons pas d’excuse. Il ne s’agit pas d’inventer, mais d’accélérer le déploiement de solutions déjà trouvées.

 

Elodie du Fornel : Les niveaux de maturité, en anglais TRL (Technology Readiness Level), des technologies présentées dans le rapport se situent en général entre TRL 3 (laboratoire) et TRL 7 (prototype). L’enjeu est de passer du stade de la R&D à celui de l’industrialisation. Les pouvoirs publics ont un rôle à jouer.

 

Beaucoup de solutions à découvrir dans ce rapport… Et l’intelligence artificielle ? On en parle partout. Peut-elle aider à réduire les émissions de l’industrie ?

Elodie du Fornel : Absolument. L’IA est un levier d’accélération majeur. Elle automatise et optimise les processus complexes, facilite la maintenance prédictive par exemple… Elle favorise aussi la montée en compétences et développe l’organisation apprenante. En innovation par exemple, de nouveaux matériaux peuvent être découverts grâce à l’IA générative. 

Les jumeaux numériques, associés à l’IA, facilitent la maintenance prédictive.

 

Les technologies décrites sont-elles adaptables au contexte européen, ou impliquent-elles une dépendance géopolitique ?

Jan Mertens : C’est une excellente question. Nous aurons besoin de grandes quantités d’électricité renouvelable, ce qui suppose d’en produire localement, mais nous devrons aussi importer des molécules comme l’hydrogène, l’ammoniac et les hydrocarbures renouvelables. Même pour produire sur place de l’électricité renouvelable, nous avons, et aurons encore besoin de nombreux matériaux critiques qui servent à fabriquer les panneaux photovoltaïques, éoliennes, batteries, électrolyseurs, etc. Pour ces métaux également il est donc nécessaire de réfléchir à la manière d’y accéder de façon durable, en tenant compte du contexte géopolitique.

 

L’hydrogène vert est à la fois coûteux, difficile à transporter, et insuffisant pour répondre à tous les besoins. Peut-on malgré tout y croire ?

Jan Mertens : Nous croyons en l’hydrogène, pas que comme produit final, mais dans beaucoup de cas plutôt comme intermédiaire. Il ne s’agit pas de le brûler pour produire de l’énergie. On l’utilisera pour fabriquer les hydrocarbures durables : méthanol, méthane, éthylène, plastiques…  

Ce rapport est issu d’un gros travail collectif…

 

Ce rapport est issu d’un gros travail collectif…

Elodie du Fornel : Oui, il a mobilisé plus de 30 experts d’ENGIE : ENGIE Lab CRIGEN, Laborelec, Cylergie, et les équipes de R&I HQ. Nous tenons à tous les remercier et les féliciter pour cette belle collaboration.